Résister en photographiant l'horreur du camp

Par GAEL SAINT GEORGES, publié le mardi 12 décembre 2023 16:35 - Mis à jour le mardi 12 décembre 2023 16:37

Anise Postel-Vinay, arrêtée pour faits de résistance à l’âge de 20 ans, est arrivée à Ravensbrück en octobre 1943. Libérée par la Croix-Rouge suédoise le 23 avril 1945, elle a contribué depuis lors à plusieurs ouvrages sur le camp de femmes de Ravensbrück. Elle a confié à la Fondation de la Résistance en 2011 plusieurs documents illustrant une forme de résistance dans les camps nazis : l’aide apportée par les déportées aux jeunes polonaises, victimes d’expériences pseudo-médicales.

«Les lapins » : c’est le surnom donné par les détenues françaises aux 86 victimes sur lesquelles le Professeur Gebhardt à partir de la fin juillet 1942 pratiqua des séries d’expériences médicales. N’ayant pu sauver Heydrich, il cherchait à se réhabiliter aux yeux d’Hitler en montrant l’inutilité des sulfamides dans le traitement de blessures. Il utilisa les Polonaises comme cobayes en leur inoculant par exemple la gangrène gazeuse, le tétanos…

Anise Postel-Vinay a été témoin de leur drame: «Si j’ai si bien suivi le drame des lapins, c’est que les Allemands avaient réuni dans le même Block les femmes à faire disparaître en priorité: les survivantes des expériences pseudomédicales du SS, Professeur Gebhardt, les NN des pays de l’Ouest, dont j’étais, et les prisonnières de guerre de l’Armée Rouge (services de santé et des transmissions).»

Le témoignage d’Anise PostelVinay permet de comprendre les conditions dans lesquelles ces photographies clandestines ont pu être prises: «L’appareil photo avait été vu par quelques camarades parmi les bagages des milliers de femmes que les Allemands internaient à Ravensbrück après l’échec de l’insurrection de Varsovie. Après avoir réussi à s’en emparer, nos camarades polonaises décidèrent d’utiliser les quelques pellicules vierges qui restaient pour photographier trois des jeunes filles survivantes des atroces expériences pseudo-médicales faites sur leurs jambes, restées marquées d’horribles cicatrices. Les photos ont été prises dehors, dans le fond du camp. Sur l’une d’elles, on voit la camarade chargée de faire le guet».

Très liée à Germaine Tillion dont elle partageait la paillasse à Ravensbrück, Anise Postel-Vinay raconte le rôle décisif de l’ethnologue française dans la conservation de ces preuves d’un des crimes contre l’humanité perpétré dans le camp: «La pellicule a été sortie de l’appareil et confiée par les Polonaises à la Française Germaine Tillion, connue dans le camp pour sa sagesse, sa solidité et sa prudente récolte de documents. Les Polonaises savaient bien qu’après les Juifs, ce serait au tour des Slaves d’être exterminés. Les femmes de l’Ouest avaient plus de chances de sortir vivantes du camp. Elles ont tricoté un petit sac en laine de la taille de la pellicule avec un long cordon et Germaine Tillion a porté ce dangereux trésor autour de son cou, jour et nuit pendant six mois. Le 23 avril 1945, elle a fait partie des quelques centaines de Françaises qui furent libérées par la Croix Rouge Suédoise. Pour passer l’ultime fouille, elle a caché le petit sac devenu très sale dans une boîte de lait en poudre que les SS ont enfin sorties des réserves qu’ils volaient à la Croix Rouge au fur et à mesure que les colis arrivaient.»